On dit qu'un challenge est possible lorsqu'il admet à minima, une résolution. Qu’il s’agisse de jeu ou d’activités non ludiques, qu’elles soient conçues de manière réfléchie par un autre agent (ex : un test), ou émergent spontanément (ex : passer une rivière, convaincre quelqu’un).
Dans le cadre d’un challenge conçu, il est important pour le concepteur de connaître la nature du challenge qu’il propose, et la, ou les, manières de le résoudre.
Il faut alors diviser le challenge conçu en deux catégories :
Le Challenge à vocation évaluative.
Le Challenge à vocation ludique.
Attention, nous parlons ici de vocation. Il n’est pas exclu qu’un challenge à vocation évaluative soit ludique et vice versa. Nous parlons ici de la raison pour laquelle il a été conçu.
Pour le Challenge à vocation évaluative, le but est d’évaluer une ou plusieurs compétences du ou des participants. Dans un modèle simplifié, où le challenge est une boîte noire, c’est à dire que nous ne connaissons pas la manière dont le sujet a agit, mais nous connaissons le résultat du challenge, il est important pour le concepteur de s’assurer que le challenge n’offrait pas de résolution cachée, c’est à dire une solution non envisagée par le concepteur, qui permettrait au sujet de résoudre ce test autrement, et donc sans nécessairement utiliser les compétences évaluées. Pour éviter ce genre de situation, il est important d’avoir un milieu tout à fait contrôlable, et d’avoir un test précis, excluant les résolutions ne répondant pas à l’objectif du test.
Posez vous la question : un sujet qui remplit un QCM de langue française non pas car il résout le problème de chaque question, mais parce qu'il a trouvé l’algorithme permettant de trouver la réponse à toutes les questions, ce sujet mérite-t-il de réussir le test ?
Il faut alors dissocier le test dans l’idée et dans l’application : dans l’idée, le but de ce test était de vérifier la capacité du sujet à connaître la langue française. Mais en réalité, le concepteur a conçu un test, et l’énoncé était de résoudre ce test, ce qui est loin d’être la même chose.
Il est alors important de considérer qu’un test n’évalue jamais rien d’autre que la capacité du sujet à résoudre le test.
Le détenteur en titre de Champion d'échec n’est rien d’autre que le sujet qui a réussi à passer le test permettant d’obtenir ce titre, et bien que le test implique de jouer aux échecs, il est fallacieux d'assumer que cela implique que le vainqueur soit le meilleur joueur d’échec. Ainsi, le créateur d’un championnat d’échec, si son but est d’en faire sortir vainqueur le meilleur joueur d’échec, doit, dans un premier temps, définir ce qu’est le meilleur joueur d’échec, puis créer un système qui permette de le trouver. Cela peut impliquer un nombre de variable astronomique, comme le nombre de partie, la nature du tournoi, est ce un système d’élimination, de poule, etc.
Remarquons qu’on ne parle même pas ici d’une partie d’échec, mais bien de la nature du tournois. On pourrait ajouter à ça le fait si la partie est chronométrée, qui commence à jouer, etc.
Il me semblait important d’évoquer les Challenges à vocations évaluatives. C’est en effet un prérequis pour la partie qui va suivre : les Challenges à vocations ludique.
Les Challenges à vocations ludiques sont largement employés dans le Jeu. Nous simplifieront le problème en réduisant l’intention de ce genre de challenge à l’amusement du joueur, et rien d’autre. Vous pourriez argumenter que vous connaissez des challenges ludiques à vocations plus profonde que l’amusement, mais ce n’est ici pas le sujet.
Dans le cadre de challenges ludiques, le sentiment de bonheur peut provenir de l’action de résolution du challenge mais aussi du sentiment d’accomplissement à la fin du challenge. Il est important de noter ici que nous cherchons ici à créer un sentiment, une impression, auprès du sujet. Sentiment, qui, par définition, n’a rien d’objectif.
Posons nous alors ces questions : Comment maximiser le bonheur du sujet ? Comment faire en sorte que le challenge ludique que je conçois plaise au plus grand nombre ?
A titre personnel, je conseillerai à tout créateur de Challenge de lister l’intégralité des compétences requises ou pouvant être requises à la résolution de Challenge.
Afin d'étayer cette liste de compétence, je conseille également aux créateurs de classer et quantifier l'importance de chacune de ces compétences à la réussite du challenge. La somme de la valeur attribuée à chaque compétence devant être égale à 100.
Dans le cadre de jeu où des facteurs extérieurs au joueur ont une influence sur sa réussite, il peut être judicieux de positionner ces facteurs au sein de l’échelle (ex : le Hasard).
Nous appellerons Échelle Qualitative de Compétence (EQC) ce procédé.
Comprenez bien que cette échelle a des fins d’analyse de système, et n’est en aucun cas une échelle représentant la qualité d’un jeu.
De plus, l’EQC n’est pas utilisable pour connaître le niveau requis d’une compétence pour réussir le challenge. Deux Challenges peuvent nécessiter 100% de Dextérité, mais demander des niveaux de dextérité radicalement différents.
Exemple : EQC d'un jeu de course à objet.
Applications de l’EQC
Dans le cadre de la création d’un jeu avec un public défini, il peut être intéressant d’utiliser l’EQC afin de s’assurer que les compétences requises pour accomplir le challenge sont en adéquation avec les attentes du public. Les amateurs de jeux de stratégie vont probablement attendre d’un jeu que son issue soit déterminé principalement par la Stratégie, et non la rapidité d’exécution par exemple.
Dans le cadre de la création d’un jeu inspiré de jeux similaire, il peut être intéressant d’utiliser l’EQC afin d’analyser en quoi ces jeux sont challengeant, qu’est ce qui les différencient, et comment se placer face à ces concurrents.
Comment construire son EQC ?
Étape 1. Identification des compétences
Listez l’intégralité des compétences pouvant être utilisées pour accomplir votre Challenge. Si vous faites l’EQC d’un groupe de Challenge, n’hésitez pas à d’abord faire l’EQC de tous les challenges de ce groupe (ex : le triathlon). À ces compétences, ajoutez tous les éléments annexes(ex : le hasard)
Etape 2. Élimination des prérequis et éléments annexes
Parfois, nous sommes tentés de mettre dans l’EQC des prérequis essentiels, par exemple, compétence : être doté du sens de la Vue. Je vous conseille, dans la majorité des cas, d’éliminer ces pré requis. En effet, je vous conseille, sauf exception, de gérer l’accessibilité de votre jeu de manière totalement différenciée, cela vous permettra de trouver de réelles solutions efficaces. De même, certains éléments annexes ne sont pas nécessairement cohérents d’être noté, bien qu’ils aient de l'importance dans les chances de réussir le challenge. Je ne dispose pas de règle magique permettant de déceler lesquels enlever, cela dépend de votre Challenge, et de ce que vous comptez en faire.
Étape 3. Passer de la liste à l’échelle.
C’est la partie la plus délicate : comment donner une valeur numérique à chacune de ces compétences ? La première chose qui est importante de noter, je le répète, est qu’il ne faut surtout pas les noter en fonction de la difficulté requise. Ce n’est pas parce que la gestion de l’inventaire est très difficile dans votre jeu que cette compétence devrait remplir une part importante. La question qu’il faut se poser est : est-il possible de réussir le jeu sans gérer l’inventaire ?A quelle point gérer parfaitement l’inventaire augmente les chances de succès ?
Si vous avez du mal à donner des valeurs à vos compétences, commencez peut-être par les hiérarchiser : quelle est la compétence la plus utile pour un joueur de mario kart : connaître le terrain ou gérer ses objets ?
Une fois hiérarchisés, donnez une part à chaque compétence jusqu’à atteindre 100%, puis ajustez.
Je crois également en l’utilisation de Data Analyse pour obtenir un EQC plus précis : vous pourriez par exemple faire corréler le pourcentage de précision d’un joueur de FPS avec son taux de victoire, regarder de plus près l'importance des choix dit “meta” au sein d’un jeu compétitif avec leurs chances de succès, la gestion de potion pour vaincre un boss dans un rpg, etc.
Par exemple, je travaille sur un MOBA, et j'ai envie d'identifier l’importance de :
- La Connaissance du personnage joué
- Le Hasard
- La Stratégie
- Le choix des objets achetables
- Autre
Afin de connaître l'importance de ces 5 critères, je les classe d'abord par ordre (de manière instinctive), puis une valeur, de telles manières à ce que la somme des 5 fasse 100.
Remarquons que le choix de mes 5 critères n'est peut-être pas bon, ou pas assez précis : est ce que je considère mes alliés dans la catégorie "hasard" ou "autre" ? Ne devrais-je pas créer une catégorie "gestion d'équipe" ?
Pour le moment, je décide de partir sur ces 5 critères. Je les ai chiffrés. Afin d'en vérifier la validité, j'implémente un système simple : je met en corrélation le taux de victoire du personnage joué avec le nombre de parties que le joueur a fait sur ce personnage. Si je me rends compte que le nombre de parties n'a pas d'influence sur le taux de victoire, je peux sans doute décider de supprimer cette catégorie.
Étape 4. Subdivisez, ou regroupez
“Stratégie” n’est probablement pas une compétence à noter dans l’EQC d’un jeu de Stratégie. En effet, ce terme est trop vague, et implique beaucoup de subdivisions. N’hésitez pas à subdiviser une compétence trop englobante en plusieurs plus petites si vous trouvez que cela a du sens. Remarquez que ce n’est pas nécessairement le cas. Vous pourriez en effet chercher à établir l’influence de la dextérité au sein de votre jeu, dans ce cas, vous pourriez créer un EQC de deux catégories : “Dextérité” et “Autre”.
L’EQC n’est pas perceptible par le Joueur
Si vous demandez à un enfant d’établir l’EQC du jeu de la bataille, il y a peu de chance qu’il vous réponde que le jeu est 100% déterminé par le hasard, qui n’est pas une variable influençable par le joueur, et pourtant, c’est le cas.
L’exemple semble simpliste, mais partez du principe qu’il est véridique dans la très grande majorité des cas.
Ce qu’implique cette affirmation, c’est que le Challenge que vous vendez ne sera pas perçu sans filtre par le joueur. Utilisez cette règle à votre avantage : au lieu d’être déçu que le joueur ne comprenne pas que votre jeu est super skill-based, prouvez lui qu’il l’est ! Et par extension, vous pouvez même tromper le joueur sur l’importance des compétences utilisées.
Demandez au joueur
Suite à des playtests, n’hésitez pas de demander au joueur, selon lui, l’importance de chaque compétence au sein du jeu. À cela, vous pouvez également lui demander quelles compétences il a utilisé pour venir à bout du challenge. Remarquez qu’il s’agit bien de questions très différentes. En effet, un joueur peut volontiers accorder que certaines compétences sont très importantes au sein du jeu, sans pour autant l’avoir utilisé (par exemple, un joueur de Winston dans Overwatch pourra difficilement nier que la visée a une part importante dans le jeu, bien qu’il ne l’est pas utilisé du tout.).
Un EQC, des EQCs
Il est parfois pertinent de créer plusieurs EQCs, certains sont additifs (plusieurs EQC pour plusieurs Challenges nécessaires pour que le sujet arrive à bout de votre Challenge), certains sont optionnels (ex : un EQC pour les joueurs de DPSvs un EQC pour les joueurs de Tank).
EQC d’intention, EQC effectif
Différenciez deux EQC : celui que vous aimeriez pour votre Challenge, appelé EQC d’intentions, et l’EQC effectif, qui est l’analyse de votre challenge actuellement.
Ainsi, si vous êtes amenés à devoir décider d’une modification au sein de votre challenge, posez vous la question : permet-elle de s’approcher de l’EQC d’intention ?
Si la réponse est non, alors il faut peut-être réfléchir de la cohérence de cette décision ou de la cohérence de votre EQC d’intention. Ce n’est pas grave de revenir sur son EQC d’intention, mais il est important de comprendre pourquoi vous le faites.
Par exemple, je veux faire un jeu de course, à la manière de Mario Kart. Afin de le différencier de la concurrence, j'ai envie de rendre la gestion d'objet très importante dans la réussite du joueur. Je créé alors l'EQC d'intention de mon futur jeu :
Conduite : 20%
Visée : 10%
Timing : 10%
Gestion d'objets : 25%
Hasard : 10%
Connaissance du circuit : 25%
Plusieurs mois plus tard, durant la production de ce même jeu, les playtesteurs se plaignent : ils trouvent que les parties ne sont pas suffisamment intéressantes, elles se soldent toutes de la même manière : un joueur prend l'avantage au début, et plus personne ne peut le rattraper.
Je trace l'EQC effectif actuel de mon jeu, à l'aide de Playtests, d'outils d'analyses, et de ma propre analyse. Face aux plaintes des playtesters, il semble ici très important de vérifier si le joueur qui prend l'avantage est toujours le même, et est ce qu'il est plus fort que les autres joueurs ? Ou peut-être est-ce juste le hasard qui lui permet d'avoir une avance au début, et que mon système ne permet pas aux autres joueurs de rattraper ce retard.
Voici l'EQC effectif :
Conduite : 15%
Visée 10%
Timing 15%
Gestion d'objets : 25%
Hasard : 5%
Connaissance du Circuit : 30%
Finalement, je me rends compte que les joueurs qui gagnent à mon jeu sont juste meilleurs, et que mon EQC effectif n'est pas si loin de mon EQC d'intention (d'autant plus que la gestion d'objet est parfaitement calibrée !). Maintenant que je dispose des outils nécessaires, je peux commencer à me poser la question : dois-je revenir sur mon EQC d'intention ?Ou dois-je le garder et trouver des solutions pour éviter les problèmes ?
Random Parallel Learning
Théorie empruntée de Tom Cadwell dans une de ses conférences. Afin d’intégrer ce concept au sein du système EQC, mais aussi parce que je n’oserais pas parler au nom de Tom Cadwell, nous utiliserons le terme “Apprentissage et utilisation de Compétences Parallèle”.
Apprentissage et utilisation de Compétences Parallèle
C’est le fait qu’un Challenge puisse être résolu via l’utilisation de différentes compétences en parallèle. Ainsi, dans le cadre d’une suite de challenge, cela implique que le sujet puisse progresser de différentes manières pour venir à bout de ces challenges.
Prenons l’exemple de League of Legend : un joueur peut monter en ELO via sa maîtrise de son champion, de sa communication avec son équipe, sa connaissance du jeu, etc. Ainsi, le joueur peut s’exprimer et s’améliorer dans les compétences qu’il préfère mettre en œuvre dans le but de réussir le challenge.
Nous pouvons alors parler d’un EQC permissif.
Avantages d’un EQC permissif :
Permettre aux joueurs de s’améliorer même si ils ont atteint leur maximum dans une des compétences.
Rendre le jeu amusant à un plus grand nombre de joueurs.
Autoriser un joueur a s’amuser de différentes manières au sein du jeu.
L’EQC permissif semble être une composante de la réussite d’un jeu, en effet, les MMORPGs, Battle Royale ou encore MOBA ont tous des EQC très permissifs.
EQC : explique-t-il l’attrait d’un joueur pour le jeu ?
Un joueur de jeu de stratégie ne fondra pas nécessairement pour votre jeu même si celui-ci est principalement déterminé par la stratégie.
Je ne pense pas que l’EQC explique à lui seul l’intérêt d’un joueur pour un jeu. En revanche, il est à mon sens, à ne pas négliger. En effet, de nombreux penseurs affirment que la résolution de Challenge est engageante pour le joueur, pourtant, les taxonomies visant à classer les joueurs par attrait pour leurs jeux ne s’attardent que peu et brièvement sur le genre de challenges qu’ils doivent résoudre.
Ainsi, je vous recommande d'essayer la méthode EQC. Elle est pour moi très utile pour analyser des jeux, créer les siens, et avoir une matière solide pour exprimer sa préférence pour des idées qui n’ont rien d’objectifs.
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